La laïcité aujourd'hui un enjeu pour l'école, au coeur des principes de la République
Frédérique de la MORENA est Maître de conférences en Droit public à l’Université Toulouse Capitole. Elle est également membre du Conseil des sages de la laïcité. Ce Conseil est composé d'experts issus de tous les horizons, pour préciser la position de l'institution scolaire en matière de laïcité.
En résumé :
- La laïcité est un principe républicain posé dans le premier article de la Constitution : la République est laïque, indivisible, démocratique et sociale.
- C’est un principe, inscrit dans des textes de droit et comme tout principe juridique, les citoyens ont obligation de le respecter. La laïcité est instaurée et garantie par l’état, c’est un acte unilatéral de la puissance publique, ce n’est pas un « contrat ».
- La laïcité telle que nous la connaissons aujourd’hui dans les principes de notre république, est le fruit d’une construction et d’une maturation.
- Deux grands points d’ancrage du principe de laïcité en France :
- - 1789
- C’est la Révolution de 1789 qui a posé les fondements du principe de laïcité en séparant définitivement les détenteurs du pouvoir et Dieu. Dès lors c’est la nation qui est à l’origine du pouvoir et la société va peu à peu se séculariser en mettant en œuvre une séparation entre l’espace politique et l’espace social,entre la sphère publique et la sphère privée.
- La laïcité ne peut être dissociée de deux grandes libertés mise en œuvre suite à la Révolution :
- « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses… » (article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). On peut avoir aussi des opinions, autres que religieuses qui sont à respecter. Cela garantit la LIBERTE DE CONSCIENCE,1 ère des libertés de l’esprit.
- La Constitution de 1791, précise la notion de liberté de culte. C’est une liberté qui relève de la liberté de manifestation. Ainsi peut-on manifester sa croyance en organisant son culte, par des rites, des pratiques, à l’intérieur des lieux de culte mais aussi à l’extérieur (ex des processions)
- La France est une république laïque, la laïcité ne s’impose qu’à la chose commune, et ne peut s’imposer à la sphère privée.
- La laïcité n’est pas la liberté de croire, ou de ne pas croire ou de changer de religion, ce n’est pas l’œcuménisme. Enfin, elle ne fait pas référence à la notion de tolérance, qui est une vertu individuelle. Un état ne « tolère » pas, il donne et garantit des droits
- La loi de 1905 est fondamentale, elle fait référence pour le Conseil d’état, la Cour européenne des droits de l’homme.
- En 1905 la République assure la liberté de conscience et l’état ne doit pas se contenter de s’abstenir, il doit INTERVENIR pour que chacun puisse penser et croire librement, il s’agit d’une obligation positive.
- A partir de 1905, la République ne reconnait, ne salarie, ne subventionne aucun culte
- Les ministres du culte étaient salariés et gérés par l’état, ils assuraient un « service public », et avaient un statut de droit public.
- Le fait religieux est transféré dans la sphère privée., ce qui, en matière de droit, garantit l’égalité des « options » religieuses
- La laïcité n’est pas une liberté mais c'est une façon d’organiser l’état, fondée sur la séparation, l’établissement d’une frontière entre la sphère publique (du
- service public) et la sphère intime (qui est davantage la sphère de la société).
A l’école :
- La laïcité est entrée dans la société par l’école qui est qualifiée de laïque : ceci implique la neutralité des personnels.
- →Laïcisation des programmes
- Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas parler de politique, du fait religieux etc.., à l’école (mais on ne fait pas de catéchisme à l’école)
- →Neutralité des locaux
- Mais l’école n’exige pas la neutralité des élèves, elle garantit seulement celle des adultes qui y travaillent.
- L’école n’est pas la rue, elle a une fonction : émanciper
- La République permet à chacun de nous d’être différent selon les espaces où nous nous trouvons. Pour les apprenants, il s’agit de venir l’école en tant qu’élèves pour y acquérir des outils de raisonnement pour être libres
Pour aller plus loin:
Le vademecum de la laïcité à l'école en téléchargement : Vademecum laïcité à l'écoleValeurs de la République et laïcité sur Chorofil
Laïcité, enjeu ou condition du débat en classe : Episode cévenol (2022)
Des élèves en situation :
Un web documentaire a été réalisé avec des élèves de lycée agricole. Ce document met en scène quatre situations pour comprendre et débattre autour du concept de laïcité.Quatre situation particulières mettant en question le principe de laïcité sont jouées par des comédiens, ensuite un groupe d'élèves s'approprie la scénette et la joue à son tour.
Un débat est ensuite organisé autour de cette restitution, et Nicolas Cadène apporte un éclairage d'expert sur des temps forts ou des problématiques soulevées dans le web documentaire. Ce web documentaire est accessible en cliquant sur ce lien
Un certain regard :
D'abord, selon Henri Pena-Ruiz (1), il faut faire attention à l'orthographe. Il y a une différence entre "laïc" (vocabulaire de l'église, vocabulaire s'opposant à clerc) et "laïque" (enseignement laïque indépendant de la religion) ; les mots ont leur importance.Pour le Larousse, en France, la laïcité une conception et une organisation de la société fondée sur la séparation de l'Église et de l'État et qui exclut les Églises de l'exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l'organisation de l'enseignement.
Explicitations
Les fondementsOn considère que la laïcité repose sur deux piliers : la séparation de l'église et de l'Etat d'une part, et la liberté de conscience d'autre part. La déclaration des droits de l'homme et du citoyen évoque à ce sujet la « liberté de conviction ». Dès le XVIIIème siècle, pour les philosophes des Lumières, la liberté de conscience ou de conviction s'inscrit dans un projet émancipateur. Voltaire parle de la nécessaire séparation de la religion et de la politique.
On peut retenir cinq évènements fondateurs de la laïcité française aussi bien sur l’aspect philosophique que sur l’aspect juridique, qui aujourd’hui est le plus important.
- La révolution française et notamment l’article X de la DDHC, que vous rappelez.
- Le concordat de Napoléon, encore en vigueur dans certaines zones dérogatoires à la loi de 1905.
- La laïcisation de l’école.
- La loi du 9 décembre 1905
- Les corpus juridiques de la fin du XXème siècle début XXI, notamment la loi du 15 mars 2004
Un combat de longue date
Pour les chrétiens, en 362 Julien l'Apostat interdit d'enseigner la grammaire, la rhétorique et la philosophie. Il est en quelque sorte le premier défenseur de l'enseignement laïque, et en tout cas profane, mais sa règle ne survivra pas à l'édit de Théodose qui officialisera le christianisme en 392 comme religion d'état.
Pour les musulmans, en 1188, le Philosophe Ibn Rushd (Averroès), un des plus grands philosophes de la civilisation islamique, est accusé d'hérésie (2) parce qu'il « renvoie » la religion à la sphère privée... à la différence de son contradicteur Al-Ghazali
Chez les Juifs, Spinoza, le premier laïque de l'histoire a été banni par les Juifs portugais d'Amsterdam pour hérésie (3) pour avoir affirmé que « Dieu n'existe que philosophiquement. »
Les « pour » et les « contre »
L'approche française d'un État laïque ne se retrouve pas partout. Certains États européens conservent une religion d'État (Royaume-Uni), tandis que d'autres, tout en fixant le principe de la liberté religieuse, privilégient une religion en particulier ou interviennent dans la vie religieuse, par exemple en la finançant (Allemagne). En France, les religions n'ont pas à intervenir dans les affaires de l'état, aux États -Unis, c'est l'inverse qui se produit.
La reine d'Angleterre est le chef de l'église anglicane et le président américain prête serment sur la bible et conclut souvent ses discours par « Que Dieu bénisse l'Amérique ». Le billet d'un dollar porte la mention : « in God we trust » (4), mais ce dieu est considéré comme commun à toutes les religions monothéistes.
Que dit la jurisprudence ?
En 1992 Le conseil d'État (7) adopte une interprétation souple du principe de laïcité comprenant la neutralité du service public et la liberté de croyance des élèves. La loi de 2004 va apporter un éclairage différent sur le sujet.
Ce qu'il est intéressant de noter, c’est que le conseil d’état en 1989, après « l’affaire du foulard de Creil » dit dans un premier temps que le port de signe religieux à l’école ne remet pas en cause le principe de laïcité. Le conseil d’état donne la responsabilité aux chefs d’établissement de gérer les situations au cas par cas.
Il faudra attendre la commission Stasi en 2003 pour que 26 nouvelles propositions soient faites pour l’école, dont une seule sera légiférée. La loi du 15 mars 2004 inscrite dans le code de l’éducation.
Cette proposition qui est faite par la Commission Stasi et qui va s’inscrire dans le cadre réglementaire par la suite repose au départ sur deux piliers : le non prosélytisme (10) entres élèves et la protection des enseignants et de leurs enseignements.
Que dit le droit ?
-1789 : la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen institue la liberté religieuse (5)
-La constitution de 1791 établit la liberté des cultes et accorde des droits identiques aux religions présentes alors en France : catholique, judaïque et protestante.
-1905 : la Loi de séparation des Églises et de l'État (6)
-Le principe de la laïcité de l'État est posé par l'article 1er de la Constitution française de 1958.
-Loi numéro 2004-228 du 15 mars 2004, encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics . Cette loi est très souvent mal comprise, et encore moins bien appliquée. Elle a donné lieux à une interprétation laïciste de beaucoup d’enseignants qui confondent leur neutralité de fonctionnaire avec ce que dit le code de l’éducation pour les élèves.
Le décret d’application de la loi du 15 mars 2004 tolère même pour les élèves des signes discrets, alors que cette loi est souvent interprétée comme une interdiction totale de porter des signes
L'extension du principe de laïcité
- La laïcité trouve sa principale expression dans l'enseignement, mais se traduit aussi par un encadrement des relations financières entre les collectivités publiques et les religions ainsi que par le principe de neutralité des services publics.
Elle repose sur deux principes : l'obligation de l'État de ne pas intervenir dans les convictions de chacun et l'égalité de tous devant la loi, quelle que soit leur religion. Elle implique ainsi la liberté de conscience et de culte, la libre organisation des Églises, leur égalité juridique, le droit à un lieu de culte, la neutralité des institutions envers les religions, ainsi que la liberté d'enseignement.
Le principe de laïcité entraîne la neutralité du service public, de ses agents, et le fait que le service public d'enseignement peut être dispensé par des établissements privés y compris par des fédérations clairement marquées religieusement, voire que des aumôneries peuvent trouver leur place au sein d'établissement d'enseignement.
La neutralité des agents de l’état est structurée par la loi Le Pors du 13 juillet 1983 et rappelée dans la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.
Les Etats laïques dans le monde
Rares sont les pays à avoir inscrit la laïcité dans leur constitution. Cuba (1959), la France (1905->1958), l'Inde (1976), le Japon (1947), le Mexique (1917), le Portugal (1976), l'Uruguay (1964) et la Turquie (1937). A Bagdad, sans pour autant l'avoir gravé dans le marbre, Saddam Hussein garantissait la laïcité de l'Irak.
Les Etats non laïques
En Europe, Les Pays-Bas, la Belgique, L'Espagne, Monaco, l'Allemagne, la Norvège et la Grèce sont également des pays qui ne s'affirment pas laïques. Beaucoup de pays musulmans s'affirment non laïques : les Emirats Arabes Unis, le Koweït, la Libye, la Syrie, le Maroc, l'Algérie, l'Égypte, le Soudan, la Somalie, la Palestine, le Djibouti, la Mauritanie, le Sultanat d'Oman...
Les paradoxes
Des Etats laïques intègrent dans leurs calendriers des fêtes religieuses qui sont devenues des fêtes nationales (Israël), c'est aussi le cas des fêtes chrétiennes en France qui font partie du paysage culturel malgré la stricte laïcité de la République.
Le Premier Amendement (1791) à la Constitution américaine garantit la séparation des Eglises et de l'Etat fédéral, l'absence de toute religion établie (established religion), c'est-à-dire politiquement privilégiée, et la pleine liberté de conscience.
Sur le plan des relations entre les Eglises et l'Etat, l'Amérique est proche de la France ; mais en ce qui concerne la vitalité de la religion dans la société et son rôle symbolique dans certains actes de la vie publique, France et Etats-Unis sont très opposés. L'appartenance religieuse est considérée par les Américains comme un ciment du tissu social.
Les termes en lien avec la laïcité
Liberté de conscience - discrimination - signes religieux ostentatoires - séparation de l'Eglise et de l'Etat - neutralité du service public - égalité de tous devant les services publics
Liens avec d'autres fiches
Égalité, fraternité, citoyenneté, lutte contre les discriminationsNotes
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